12/1997 - Louis Chadourne, poète et voyageur de l'urgence

Louis Chadourne, poète et voyageur de l'urgence

Article paru dans la revue Les saisons du poème, n°27-28, décembre 1997.


 Au gré de pérégrinations vers la poésie du voyage, on peut rencontrer le nom de Chadourne. Il y eut deux frères. Le cadet, Marc (1895-1975), fut l'auteur de romans témoignant de sa double expérience de médecin et de voyageur (Vasco, 1928; Cécile de la folie, 1930) mais c'est l'ainé, Louis, qui retient aujourd'hui notre attention.

 Né à Brive-la-Gaillarde en 1890, il était un enfant "doué pour la vie" et "avide de sentir". Mais les témoignages de son entourage, dont certains sont évoqués dans la préface de son œuvre par son camarade Benjamin Crémieux (Accords, 1929, qui mériterait l'intérêt d'une collection, réunit les Poèmes de jeunesse; L'amour et le sablier; Poèmes d'Italie; Accords; et Départs) dépeignent aussi un jeune homme à la sensibilité exacerbée et à l'ardeur cohabitant avec "une sagesse amère" et le pressentiment d'une "atroce destinée". On peut en lire les traces rétrospectives dans un roman, L'inquiète adolescence (1920) ainsi que dans ses Poèmes de jeunesse (écrits jusqu'à 1908) évoquant l'omniprésence de la question amoureuse, la fragilité de l'identité et une délicatesse presque excessive. C'est également au travers de ces premiers poèmes que l'on situe les cadres essentiels de Louis : maison familiale corrézienne, internat religieux de Périgueux, lycée Louis le Grand à Paris. Le jeune Chadourne apparaît plein de contradictions, à la fois austère, tumultueux et spontané.

 L'année 1909 marque le début de longs voyages en Italie. Chadourne découvre Florence, la Toscane, puis Rome, et compose Poèmes d'Italie, desquels se dégagent une douce esthétique de l'athmosphère et une calme impression de paix intérieure. Il se marie en 1913 après avoir été reçu à l'agrégation d'italien. Mais le ménage ne peut goûter à un très long bonheur. Le poète est rattrapé par le destin tragique qui est le sien et celui de l'Europe. 1914, la guerre éclate. 1915, Louis Chadourne est au front. Il est grièvement blessé : commotion cérébrale par obus, ensevelissement prolongé, séjours forcés à l'hôpital. Les séquelles de ses blessures le condamnent à plus ou moins long terme.

 Dès lors tout s'accélère. L'idée fixe d'une mort proche le fait vivre dans l'urgence. Benjamin Crémieux (qui est aussi l'instigateur de l'édition chez Gallimard de Louis Brauquier - Saisons du Poème n°26 -) écrit : " Il y a la terreur d'être gagné de vitesse par le néant, de mourir sans avoir connu la plénitude de la vie, qui, longtemps, se confondit pour lui avec l'amour." Dès qu'il recouvre assez de santé, le poète ne songe plus qu'à "Vivre encore, voyager, épuiser toutes les sensations, tous les sentiments, faire peau neuve. Secouer tout le poids du passé, l'oublier jusqu'à ce qu'il s'impose car, lorsqu'il s'imposera, ce sera l'heure de tout quitter." Soudainement, la conscience du monde s'élargit. La frénésie du voyage (secret que seuls les voyageurs connaissent) gagne Chadourne. Il embarque pour l'Amérique et séjourne longtemps aux Antilles, au Vénézuela et en Guyane (y révélant au passage les scandales coloniaux). Entre deux retours dans une maison de santé, le poète de Départs écrit et voyage, jusqu'à sa mort en 1925 avant un embarquement pour le Japon.

 Dans son ensemble, l'œuvre est d'une grande variété et sa valeur littéraire profonde "en dehors de sa séduction qui est grande et du drame qui s'y débat, vient de ce qu'il ne s'est point donné de limites, qu'il n'a engagé sa foi à aucune école mais qu'on trouve dans ses livres trace de toutes, transformées en valeurs vitales. Symbolisme et post-symbolisme, angoisse laforgienne de l'éternel féminin, invitation au voyage baudelairienne, évasion gidienne, hantise et quête de l'aventure". Après ses blessures, il "ne pose plus sa poésie que sur des spectacles humains (...), énumère toutes les vies possibles, les recours, s'évade de sa vie bornée, pense aux autres hommes, à la diversité de toutes les vies humaines". Une forme de simultanéisme et d'unanimisme régit alors ses textes, comment le montrent Départs ou Accords d'où sont extraits ces vers très whitmaniens... Je suis la ronde des molécules chaudes / L'échange des plantes de la terre / L'ascension dorée des sèves / Le balancement innombrable des feuillages...

 Chadourne fut aussi romancier de l'aventure exotique, sa prose est toute d'océans et de terres lointaines (Terre de Chanaan; Le maître du navire, 1919; Le conquérant du dernier jour, nouvelles préfacées par Larbaud; Le pot au noir, récits de voyage).





Trinidad ! Nous irons, si vous le voulez bien,
Arabelle, Darling,
Faire un tour en voiture autour de la savane
Cependant que monsieur votre père entre au club
Et sous la véranda sanglante d'hibiscus
Hume le whisky frais et mâchonne un Havane !

Arabelle, Darling, le ciel tendre s'irise,
Un arc-en-ciel marin a fleuri sur sa tige
Et l'église anglicane entre les lataniers
soupire à l'harmonium un psaume familier.
Arabella, songez à la douceur de vivre
Et distillez pour moi ce miel : West-Indies.







Suite à venir

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